L’INFLUENCEUR

L’INFLUENCEUR

Publié dans La Presse, le 27 mai 2014.

Marcel Côté aura été la matièregrise derrière plusieurs grands projets qui ont marqué le Québec moderne.

Dans une réunion matinale, Marcel Côté arrivait parfois en retard tout en finissant de manger ses bâtonnets de fromage. Il avait toujours l’air de quelqu’un de distrait, de quelqu’un de désorganisé, de quelqu’un qui n’écoutait pas.

Pourtant, quand arrivait son tour de parler, il était évident qu’il n’avait rien perdu des conversations en cours. Il sortait alors «son» argument. Tout le monde se regardait, personne n’osait le contredire, sachant qu’il avait raison. C’est un peu ce qui va manquer à ceux qui ont connu Marcel: sa désinvolture et son rire moqueur, qui étaient sa façon d’envoyer promener ses interlocuteurs quand il n’était pas d’accord avec eux.

Marcel était l’antithèse du politicien. Pendant sa carrière, il a toujours refusé les nombreuses offres de se porter candidat pour n’importe quel parti, que ce soit sur la scène fédérale ou provinciale, sachant que ses phrases assassines pourraient lui coûter cher en politique. En réalité, il avait plus d’influence dans son rôle d’éminence grise qu’il aurait pu en avoir assis sur les bancs du Parlement ou de l’Assemblée nationale.

Par amour pour Montréal

Pourtant, vers la fin de sa carrière, c’est du côté du municipal qu’il a choisi d’aller pour finalement se lancer en politique, non pas dans un parti structuré, mais dans un nouveau parti. Et ceux qui le connaissent savent qu’il a pris cette décision par amour pour Montréal, une ville qu’il connaît sur le bout de ses doigts.

En fait, nous n’avions qu’à lui parler de Montréal pour qu’il se lance dans une dissertation sur tout ce qui va mal et sur les remèdes de cheval qu’il fallait apporter. Son franc-parler ne l’aura pas aidé, puisqu’il n’a pas récolté les 15% des voix nécessaires au remboursement de ses dépenses électorales. Il a pris sa défaite sereinement et est retourné au rôle qui l’a fait connaître et qui a fait de lui un influenceur auprès des politiciens et des gens d’affaires. Marcel aura été la matière grise derrière beaucoup de grands projets qui ont marqué le Québec moderne.

Marcel Côté a fondé SECOR en 1975. Cette entreprise, appartenant aujourd’hui à KPMG, aura été (et est encore) le symbole de la réflexion stratégique nécessaire au succès à long terme des grandes entreprises qui ont fait appel à ses services. Sa spécialité était de repérer et d’évaluer les occasions d’affaires pour ses clients. On l’a vu s’associer non seulement avec les grands noms de l’entrepreneuriat québécois, mais aussi avec des premiers ministres à Québec et à Ottawa. Combien de fois ai-je entendu politiciens ou gens d’affaires dire, avant de prendre une importante décision, «Attendez, je vais appeler Marcel Côté pour avoir son opinion». C’est dire à quel point tout un chacun respectait sa façon de penser et d’agir.

La mort prématurée de Marcel Côté va créer un grand vide, tellement son influence était grande. Quant à moi, j’ai de la difficulté à imaginer que je ne reverrai plus son sourire moqueur en coin. Au nom de tous ceux qui l’ont connu et qui ont pu apprécier sa grande sagesse, je lui souhaite un repos bien mérité, sachant cependant qu’il va trouver le moyen d’être là-haut l’éminence grise qu’il aura été sur Terre.

Publié par Gaétan Frigon