LA SAQ ET LE MYTHE DU PRIVÉ

LA SAQ ET LE MYTHE DU PRIVÉ

Publié dans Le Droit, le 6 novembre 2014

La plupart des intervenants qui prônent la privatisation de la Société des alcools du Québec le font sur la base que le secteur privé fait un meilleur travail que le secteur public.

Ayant travaillé dans ces deux secteurs, j’ai été à même de constater les forces et les faiblesses de chacun. Aussi, je laisse volontairement de côté les arguments subjectifs ainsi que les chiffres à qui on peut faire dire à peu près n’importe quoi, pour m’en tenir à des faits vécus et vérifiables. Je ne parle pas non plus des prix de détail puisqu’ils sont en fait des taxes indirectes. Il m’apparaît évident à ce niveau que le gouvernement ne voudrait pas encaisser moins que le milliard de dollars qu’il encaisse présentement, et, qu’en plus, le privé devrait aussi y trouver son profit. La conclusion est simple : il ne pourrait y avoir de baisses de prix.

Voici mon argumentaire : Imaginons un commerce dans lequel nous mettons en tablette 100 produits de consommation courante, tous de familles différentes, dont du vin. Lequel, du privé et du public, ferait la meilleure mise en marché? Sans hésitation, je répondrais le privé. Mais sur le vin, le public ferait un meilleur travail. Voici pourquoi.

Dans le privé, on vend l’espace de tablette et on maximise la profitabilité en faisant le maximum de ventes avec le minimum de produits et le minimum d’espace tablette. Mais il s’agit de concepts qu’il ne faut pas appliquer dans la mise en marché du vin.

Monopoles d’État

D’une part, seuls les gros producteurs auraient les moyens d’acheter de l’espace tablette alors que l’industrie du vin est composée en majeure partie de petits producteurs, et, d’autre part, quand on parle de vin, on parle de millésimes, de cépages, d’ensoleillement, de terre rocheuse,etc. En d’autres termes, chaque vin est différent et il faut maximiser et non minimiser le nombre de produits en magasin. Et c’est là que le secteur public bat le privé à plate couture. Et c’est probablement dû en bonne partie à l’historique des monopoles d’État à travers l’Amérique du Nord. Le profit à tout prix n’était pas leur raison d’être.

Il faut également se rappeler que les épiciers ont eu l’autorisation de vendre du vin (embouteillé au Québec) il y a plusieurs décennies déjà. Qu’ont fait les grands de l’alimentation? Ce qu’ils savent faire de mieux: vendre l’espace de tablette et minimiser le nombre de produits en magasin. Et les épiciers n’ont jamais connu les succès espérés.

Histoires d’horreur

J’ai d’ailleurs été témoin d’histoires d’horreur quand je travaillais en alimentation. Un des grands de l’industrie vendait à haut prix 100% de son espace tablette à un seul embouteilleur, Vincor. C’est encore le cas aujourd’hui. Ce géant élimine les cinq autres embouteilleurs comme s’ils ne faisaient pas le poids. Je n’ai aucune raison de croire que les épiciers agiraient différemment si un jour ils remplaçaient la SAQ.

Les petits producteurs avec des vins considérés uniques ne pourraient concurrencer les Gallo et autres gros producteurs qui avanceraient des millions de dollars pour acheter le maximum d’espace en magasin. Ce serait rien de moins qu’un désastre pour les petits producteurs et, par conséquence, pour les consommateurs qui auraient moins de choix.

Aux États-Unis

Certains diront que c’est facile à dire considérant qu’il n’y a pas de comparaison possible puisque l’Ontario et le Nouveau-Brunswick sont également des monopoles au même titre que la SAQ. Aux États-Unis, il y a encore une vingtaine de monopoles d’État. Or, plus de 25% des vins vendus par la Pennsylvania Control Board le sont à des clients d’états avoisinants. Pourquoi? Leurs succursales ont une bien meilleure sélection, un meilleur service, et des prix similaires d’une succursale à l’autre. Même phénomène au New Hampshire. Et pourtant, personne ne parle de privatiser le commerce de l’alcool en Pennsylvanie ou au New Hampshire. Les consommateurs voient la différence et réalisent qu’ils sont mieux servis par le secteur public.

Un autre argument très important milite contre la privatisation de la SAQ. Il s’agit des spiritueux qui peuvent facilement être imités (fausse étiquette, fausse bouteille, faux produit). Il serait très tentant pour le privé d’acheter ces faux à des prix dérisoires, sans que le client ne s’en rende compte. Ce problème est majeur.

Le mythe voulant que le privé puisse faire une meilleure mise en marché demeure un mythe en ce qui concerne l’alcool. En ce qui me concerne, je maintiens que le public fait un meilleur travail que le privé. Et je ne changerai pas d’opinion tant et aussi longtemps qu’on ne m’aura pas démontré le contraire.

Publié par Gaétan Frigon